2019 - science-fiction
Quatrième de couverture
« Les yeux fermés, j'imagine les photons rebondissant entre les particules de poussière. J'imagine leurs chemins sinueux le long du dédale de surfaces vives, les pièges, les impasses, les culs-de-sac, les chausse-trappes. J'imagine Cigale qui accomplit sa rotation sous les étoiles, modifiant l'angle des rayons du soleil sur les panneaux. J'imagine les couleurs, changeantes, chatoyantes. Une nouvelle façon de voir… » Jardins de poussière est le deuxième recueil de nouvelles de Ken Liu à voir le jour en français. Sans équivalent en langue anglaise, réunissant vingt-cinq récits pour l'essentiel inédits, il célèbre un talent majeur et singulier à son sommet — un phénomène.
Mon avis
Une fois n'est pas coutume, puisqu'il s'agit d'un recueil de nouvelles sans aucun lien entre elles (contrairement à la Patrouille du Temps de Poul Anderson, par exemple), je ne scinderai pas ma critique en 4 paragraphes, à savoir intrigue, idées, personnages et style.
Je préfère lister ici toutes les nouvelles et leur donner une appréciation globale.
Et il y a du pain sur la planche, puisque pas moins de 25 (!) nouvelles composent ce recueil de 600 pages...
Aller, c'est parti !
Le Jardin de Poussière
La nouvelle (presque) éponyme de ce recueil démontre avec brio que la science-fiction peut être poétique. Au sens figuré, s'entend, n'imaginez pas avoir affaire à un texte en vers (et contre tous).
L'auteur nous livre ici une masterclass de style et de sense of wonder. Jugez par vous-même avec cette phrase-paragraphe : "Mais je me rappelle ces nuits d'été, il y a longtemps, où, au fond de mon jardin, je regardais dans un télescope dont j'avais moi-même poli les lentilles, pour voir une lumière dont le trajet avait duré des milliers d'années se résoudre en têtes d'épingles qui se convertiraient en pulsations électriques au contact de ma rétine et me feraient battre le cœur plus vite."
Une parfaite entrée en matière.
La Fille cachée
Nouvelle plus fantasy que SF, elle nous plonge dans la vie de tueuses capables de se déplacer dans l'espace caché, sorte de quatrième dimension invisible au commun des mortels, une habilité très pratique pour se mouvoir vers sa proie sans se faire repérer.
Un texte dépaysant et palpitant.
Bonne chasse
Dans la continuité du texte précédent, un texte d'urban fantasy qui mêle avec brio steampunk, traditions chinoises et visite historique du Hong Kong du début XXème siècle.
L'une des meilleures nouvelles de ce recueil à mon goût, portée par des personnages poignants.
Rester
Une projection du futur de l'humanité confrontée à l’apparition de la singularité : la numérisation des consciences devenue possible. Le choix qui s'offre à tout humain est le suivant : se suicider dans le monde physique pour devenir immortel dans l'espace numérique, ou rester incarné dans son paquet de cellules originel voué à dépérir.
Une belle réflexion sur le devenir de l'humanité.
Ailleurs, très loin de là, de vastes troupeaux de rennes
Dans la continuité de la précédente, elle pourrait en être la suite, lorsque plus aucun humain de chair et de sang ne foulerait la surface de la Terre.
La chute est poignante et, une fois de plus, emplie de sense of wonder.
Souvenirs de ma mère
Et si une mère astronaute vieillissait moins vite que sa fille, restée sur Terre ?
Une illustration à la fois brève et poétique de la relativité générale.
Le Fardeau
Sur une planète qui fut habitée par une race autochtone depuis longtemps éteinte, des humains jouent les exo-archéologues pour tenter de décrypter leur legs culturel. Une mythologie s'établit ainsi autour de la saga de Lura, un texte aux consonances religieuses qui donne naissance à un culte.
Ainsi, l'auteur met en lumière l'aptitude - voire le besoin - de l'humain à croire à tout ce qui est un tant soit peu mystique, aussi avancée la civilisation soit-elle.
Ce texte possède selon moi l'une des meilleures chutes de ce recueil.
Nul ne possède les cieux
Dans une Asie antique, l'art de la guerre dévoie l'emploi de cerf-volants.
Un texte à la conclusion la plus pessimiste du recueil. Il met en évidence le délitement du sacré, qui cède la place à une technologie dominatrice.
Long-courrier
L'histoire prend place dans une sorte de monde alternatif dans lequel les zeppelins ont remplacé les avions.
Sans être vain, ce n'est pas le meilleur texte du recueil.
Nœuds
Incursion dans un village reculé de Chine, qui peine à produire du riz pour survivre et qui possède une écriture basée sur des nœuds de corde.
Un occidental va alors leur proposer une variété de riz plus résistante, en échange du déplacement d'un de ses habitants aux USA afin d'expliquer son art du nouage, qui peut potentiellement aider à décrypter certains mystères d'enroulage des protéines, longues chaînes d'acides aminés, en vue d'en tirer des applications thérapeutiques.
La tradition au service de la modernité, en somme.
Une excellente nouvelle à la chute amère qui ne laisse pas indifférent.
Sauver la face
Et si les agents immobiliers étaient remplacés par des IA ? Dans ce cas, sur quelles données se baseraient-ils pour négocier ?
Une belle remise en question de la rationalité de ce type de transactions, et de notre rapport à l'IA en général.
Une brève histoire du Tunnel transpacifique
Dans la construction d'un tel tunnel, tout ne peut pas bien se passer.
Une belle uchronie illustrant la lutte des classes dans un monde où le Japon domine.
Jours fantômes
Une nouvelle étalée dans l'espace et le temps, qui montre notre besoin prégnant de connaître nos origines pour mieux construire notre avenir.
Ce qu'on attend d'un organisateur de mariage
La nouvelle la plus brève du roman, sorte de SF horrificomique express à la chute savoureuse.
Message du Berceau : L’ermite — Quarante-huit heures dans la mer du Massachusetts
Sous ce titre aussi long que sibyllin se cache un texte mélancolique. Dans une Terre dévastée par l'humain, sur laquelle ce dernier survit dans des poches de vie fragile, une ermite fait redécouvrir au monde nos origines. La "Vieille Bleue" aurait-elle encore une part de beauté à nous dévoiler ?
Empathie Byzantine
J'ai eu beaucoup de mal à entrer dans ce texte, tant et si bien que je l'ai parcouru d'un œil distrait. Je pense le relire un jour.
Dolly, la poupée jolie
Que peuvent devenir des poupées androïdes, programmées pour satisfaire les enfants qui l'adoptent, une fois que ces derniers ont passé l'âge de jouer avec ?
Un texte assez court à la chute implacable.
Animaux exotiques
Les dérives des manipulations génétiques donnent naissance à des humains intégrant une part animale dans leurs génomes.
Un texte percutant et sombre, empli de désillusions sur la nature humaine et ses perversions.
Vrais visages
Une nouvelle qui explore la problématique des préjugés raciaux et ses dérives, autant du côté du racisme que de la discrimination positive.
Moments privilégiés
Un texte d'anticipation dans un futur très proche, qui illustre les dérives de la technologie, dont les effets secondaires seraient corrigés par plus de technologie, et ainsi de suite...
Rapport d'effets à cause
Sans doute la nouvelle la plus hard SF du recueil. Certains paragraphes méritent d'être lus plusieurs fois pour en saisir tous les aspects scientifiques.
Un texte court et (trop) peu marquant.
Imagier de cognition comparative pour lecteur avancé
Une histoire qui imagine de nombreuses formes de vies extraterrestres, pour lesquelles l'auteur se plaît à imaginer des façons de communiquer aussi surprenantes que variées.
Original.
La Dernière semence
Nous rentrons ici dans la SF pure et dure, avec une vision d'un futur très lointain dans lequel l'univers ne compterait plus que quelques ultimes rémanents stellaires, peu avant un big freeze inexorable.
Un très bon texte à la chute aussi poignante qu'emplie d'espoir.
Sept anniversaires
L'histoire commence à notre époque, pour ensuite s'étirer dans le temps de manière exponentielle.
Un voyage vertigineux et idéal pour ponctuer ce recueil.
En bref :
Un recueil magnifique, à mettre aussi bien dans les mains d'amateurs chevronnés de SF que de lecteurs de littérature blanche désirant s'ouvrir au sense of wonder.
NOTE GLOBALE : 4.5/5
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