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L'anomalie, de Hervé Le Tellier

2020 - Thriller SF

 

Quatrième de couverture


"Il est une chose admirable qui surpasse toujours la connaissance, l’intelligence, et même le génie, c’est l’incompréhension."

En juin 2021, un événement insensé bouleverse les vies de centaines d’hommes et de femmes, tous passagers d’un vol Paris - New York. Parmi eux : Blake, père de famille respectable et néanmoins tueur à gages ; Slimboy, pop star nigériane, las de vivre dans le mensonge ; Joanna, redoutable avocate rattrapée par ses failles ; ou encore Victor Miesel, écrivain confidentiel soudain devenu culte.

Tous croyaient avoir une vie secrète. Nul n’imaginait à quel point c’était vrai.


 

Mon avis


Intrigue : 3.5/5


L'anomalie est un roman choral. Sans doute, même, le roman le plus choral qu'il m'ait été donné de lire jusqu'à présent.

Nous suivons ainsi une dizaine de personnages après l'atterrissage du premier vol Paris - New York, à raison d'un chapitre par personnage.


L'avantage, c'est que la palette de portraits ainsi développée esquisse une peinture romanesque très colorée, multipliant différents points de vue aussi variés qu'intéressants. L'auteur s'est de toute évidence beaucoup documenté, nous immergeant ainsi à fond dans le quotidien des personnages.


L'inconvénient, c'est qu'il n'y a pas vraiment d'intrigue à proprement parler. A peine commençons-nous à nous attacher au destin d'un personnage qu'un nouveau chapitre surgit, nous présentant la vie d'un autre n'ayant aucun lien avec le précédent, passant ainsi du coq à l'âne. L'implication émotionnelle est donc très réduite.

Pire, l'atterrissage du second vol promis par la quatrième de couverture n'intervient qu'au milieu du roman. Mais c'est aussi à partir de cet instant que l'histoire devient plus palpitante et vire franchement dans la science-fiction, pour mon plus grand plaisir.


Idées : 4/5


L'idée principale du roman est aussi simple que fascinante. A savoir, la réapparition d'un avion, dupliqué trois mois après l'atterrissage du premier.

L'auteur exploite toutes les résultantes possibles de cet évènement improbable, pour ne pas dire impossible, toujours d'un point de vue rationnel.

J'ai beaucoup aimé la façon dont les aspects sont traités, et aucun domaine n'est oublié : scientifique, religieux, philosophique, sociétal, etc. La mise en place du protocole gouvernemental, les répercutions politiques, tout ceci sonne très vrai.


Les hypothèses retenues pour expliquer le phénomène de duplication font toutes appel à des thèmes éculés de la science-fiction mais n'en demeurent pas moins passionnantes. L'auteur va même jusqu'à fournir une explication au paradoxe de Fermi, comme Jean-Pierre Boudine avait tenté de le faire dans son roman du même nom.

Je n'en dirais pas plus sur ces différentes hypothèse pour ne pas spoiler et vous laisser élaborer les vôtres.


J'ai presque regretté la fin assez abrupte du roman, qui demeure au final assez court, comme s'il en manquait un tiers, voire une moitié qui aurait poussé plus loin le curseur SF, mais sans doute est-ce dû à mes nombreuses lectures précédentes. Par exemple, Spin part lui aussi d'un phénomène étrange ancré dans un contexte réaliste et contemporain, à savoir la disparition soudaine de toutes les étoiles dans le ciel, mais pousse tellement plus loin les implications possibles que ç'en est grisant.


Au final, cette Anomalie reste assez sage, comme si l'auteur se sentait piégé entre la littérature blanche et la science-fiction, hésitant à trop s'éloigner de la première pour ne point effaroucher ses lecteurs habituels.

Cet équilibre précaire demeure tout de même efficace et le pari est réussi puisque le roman a remporté le prix Goncourt, qui couronne ainsi un roman SF pour la première fois depuis plus d'un siècle.


Personnages : 4.5/5


Vous en aurez pour tous les goûts : tueur à gage, pop star, avocate, pilote de ligne, auteur de romans, fillette violentée, architecte, et j'en passe.

Tous les portraits ainsi dressés sont passionnants, mais comme mentionné plus haut je n'ai pas vraiment pu m'attacher à chacune de leurs histoires, bien trop fugaces.

J'ai tout particulièrement apprécié le personnage du tueur à gage froid et méthodique qui ouvre le roman, ainsi que, sans surprise, celui de l'auteur de romans auquel je n'ai pu m'empêcher de m'identifier (what a surprise!).


Bien sûr, on attend avec délectation - et un brin d'impatience - le moment où les doubles de ces personnages apparaitront avec le second vol.

Tout l'enjeu réside dans l'exploitation des trois mois qui se sont écoulés, durant lesquels la plupart d'entre eux va vivre un évènement bouleversant, comme par exemple un cancer foudroyant ou une rupture amoureuse… Est-ce que leurs doubles pourront, eux, les éviter ?


Style : 4.5/5


Le style est excellent : ciselé sans être ampoulé, inspiré sans être excentrique. C'est fluide et très agréable à lire.

Le premier chapitre relatant la vie du tueur à gage Blake est même riche en punchlines, comme par exemple : "Blake fait sa vie de la mort des autres."


Et lorsque l'auteur s'amuse à faire intervenir des personnages réels comme le président Trump, il n'hésite pas à dépeindre ce dernier comme un abruti fini sans jamais le nommer explicitement, par exemple lorsqu'un conseiller lui décrit la situation inédite :

"— [...] Vous me suivez ?

Le président américain reste bouche ouverte, présentant une forte ressemblance avec un gros mérou à perruque blonde."


En bref :

Ce fut un vrai plaisir de découvrir ce roman auréolé du prestigieux prix Goncourt, gage d'une mise en avant - timide mais réelle - de la science-fiction, un genre encore trop boudé du grand public.


NOTE GLOBALE : 4/5


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