2023 - science-fiction
Quatrième de couverture
Emily St. John Mandel renouvelle le thème classique du voyage dans le temps à sa manière unique, dans une histoire envoûtante qui entremêle époques et personnages jusqu’au vertige.
Quel est cet étrange phénomène qui semble se produire à diverses époques et toujours de la même façon ? Dans les bois de Caiette, au nord de l’île de Vancouver, des gens entendent une berceuse jouée au violon, accompagnée d’un bruissement évoquant un engin volant qui décolle. L’expérience est intense mais brève, au point que l’on pourrait croire à une hallucination. En 2401, sur une des colonies lunaires, l’institut du Temps veille à la cohésion temporelle de l’univers. Une brillante physicienne nommée Zoey s’interroge sur des anomalies qui la perturbent. Le monde tel qu’il existe ne serait-il qu'une simulation ?
Mon avis
Intrigue : 4.5/5
Le roman propose une trame complexe où plusieurs récits se croisent à travers différentes époques. L’histoire commence en 1912 avec Edwin St. Andrew, un jeune aristocrate britannique qui émigre au Canada. Lors d’une promenade en forêt, il expérimente un phénomène étrange, un moment durant lequel le temps semble se suspendre. Cette anomalie se répète dans d’autres époques et lie les personnages à travers les siècles.
Le récit prend une tournure métaphysique avec l’enquête menée par Gaspery-Jacques Roberts, un détective du futur, qui cherche à élucider la nature de cette anomalie temporelle et son lien avec un violoncelliste du XXIe siècle et une romancière vivant sur une colonie lunaire au XXIVe siècle.
De manière globale, j'ai trouvé l'intrigue très bien construite. Elle évolue de manière logique vers une fin qui, sans être absolument renversante, clôture l'histoire de manière poétique.
Idées : 2.5/5
Emily St. John Mandel explore le thème du voyage dans le temps, sans jamais verser dans la hard SF. Je dirais même que c’est de la SF très light. Aucune description technique ou scientifique du dispositif de voyage temporel ne sera ne serait-ce qu’évoqué. L’autrice parle juste d’un "communicateur" qu’il faut régler pour parvenir à une date précise dans la trame temporelle, sans jamais le décrire, ne serait-ce que sa taille.
Par ailleurs, les risques de paradoxes temporels ne sont pas vraiment creusés. Il est juste dit que le temps aurait tendance à s’autoréparer lors de petites altérations, un peu à la manière de la Patrouille du Temps de Poul Anderson.
En fin de compte, l’autrice préfère se concentrer sur les thèmes de temporalité et de destin, afin d'interroger le lien entre passé, présent et futur, ainsi que la notion d’inéluctabilité.
Bref, à mon sens, le voyage temporel est ici abordé d'une manière proche de Le Temps Fut de Ian McDonald.
De même, l’impact de l’environnement lunaire sur les colons n’est qu’effleuré. Voici la seule et unique description technologique des systèmes de survie lunaire : "[...]les lointaines machines qui augmentaient la gravité pour atteindre les niveaux de la Terre, qui faisaient en sorte que l'air à l'intérieur des dômes reste respirable et qui créaient l'illusion d'une petite brise." Et c'est tout.
Bref, vivre sur Terre ou sur la Lune, c’est du pareil au même.
Les colons lunaires vivent donc sous des dômes qui reproduisent le cycle jour-nuit, sauf que l’un d’entre eux dysfonctionne et ses habitants voient donc le noir de l’espace. Là encore, l’autrice préfère se concentrer sur l’aspect poétique de la situation et de cette vie sous une nuit éternelle.
Même chose pour les "colonies lointaines" d'Alpha du Centaure : aucune explication sur la technologie ou la science permettant de franchir les 5 années-lumières qui nous séparent de ces exoplanètes, qui ne seront d'ailleurs jamais décrites, de même que les spécificités inévitables de la vie des ses colons.
Nous sommes donc très, très loin de l'esprit de découverte d'un monde nouveau comme savent très bien le faire, par exemple, Stephen Baxter avec Retour sur Titan, ou encore Kim Stanley Robinson avec Aurora.
Personnages : 4/5
Gaspery-Jacques Roberts est le personnage principal. Ce détective du futur est un personnage central, portant des dilemmes éthiques liés à la manipulation du temps. C’est un personnage profondément humains, mais quelque peu prévisible.
Edwin St. Andrew est le premier personnage développé. C’est un jeune homme en quête de sens dans le monde colonial du début du XXème siècle. Sa fragilité et son étrangeté ajoutent une profondeur émotive au récit.
Olive Llewellyn est elle une autrice lunaire qui vit les contradictions de la célébrité et de l’exil. Elle représente, en quelque sorte, un miroir de l’autrice elle-même.
Enfin, Vincent est un personnage récurrent, présent dans le roman The Glass Hotel. Ainsi, l’autrice relie ce roman à ses œuvres précédentes, créant un univers global où certains personnages et lieux réapparaissent.
Style : 4/5
Le style de Mandel est fluide, évocateur et empreint de mélancolie. L’autrice maîtrise également l’art de la concision et chaque mot semble pesé pour renforcer l’intrigue ou le développement des personnages.
Jugez par vous-même : "La première colonie humaine fut construite sur les vastes plaines silencieuses de la Mer de la Tranquillité, à proximité de l'endroit où les astronautes d’Apollo 11 avaient aluni en un siècle reculé. Leur drapeau était toujours là, au loin, fragile petite statue sur la surface sans vent."
Elle alterne entre descriptions poétiques et dialogues bien écrits, ce qui crée une atmosphère contemplative et presque exempte de scènes d’action.
Fait amusant, la construction très réfléchie de l'intrigue, digne d'une autrice architecte, contraste d'autant plus avec la dimension poétique du récit.
En bref :
Une lecture rafraichissante, représentative d'une certaine frange de la SF moderne, qui préfère se concentrer sur l'aspect philosophique plutôt que scientifique ou technologique. L'intrigue est bien ficelée est portée par des personnages bien construits.
NOTE GLOBALE : 4/5
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