2010 - Science-fiction
Quatrième de couverture (avec spoiler des deux premiers tomes, Le Problème à Trois Corps et La Forêt Sombre)
Un demi-siècle après l’Ultime Bataille, l’équilibre précaire dû à la dissuasion de la forêt sombre continue de maintenir les envahisseurs trisolariens à distance. La Terre jouit d’une prospérité sans précédent grâce au transfert des connaissances et des technologies trisolariennes. La science humaine connaît des progrès pour ainsi dire quotidiens, les Trisolariens découvrent avec fascination la culture humaine et l’espoir grandit que les deux civilisations puissent bientôt coexister pacifiquement sans la terrible menace d’une annihilation réciproque. Mais lorsqu’une ingénieure en aéronautique originaire du début du xxie siècle sort de son hibernation, elle réveille avec elle le souvenir d’un programme qui menace cet équilibre. Bientôt, l’humanité aura à faire un choix : partir à la conquête d’autres univers ou mourir dans son berceau.
Mon avis
Intrigue : 5/5
Soyons clairs : vous n'êtes pas prêts pour la lecture de ce roman. Je ne vois pas comment on pourrait l'être, à moins d'avoir été spoilé, ce qui serait fort dommage.
Extrêmement dommage, même, car vous auriez raté la découverte de l'histoire de science-fiction la plus ambitieuse de ce siècle à mon sens, n'ayons pas peur des mots.
Le roman s'ouvre, à ma grande surprise, sur le siège de Constantinople en 1453. Déroutant, pour le moins, après la lecture des deux premiers tomes de la trilogies, tous ancrés dans le présent puis le futur. Déroutant, mais captivant. Car Liu Cixin n'a pas son pareil pour nous immerger dans l'empire de Byzance.
Après ce court épisode aussi sibyllin qu'intrigant, l'auteur nous ramène aussitôt à l'époque du Problème à Trois Corps, puis de la Forêt Sombre avec des intrigues parallèles, comme s'il souhaitait nous dévoiler les coulisses de l'intrigue des deux premiers tomes.
Ensuite, c'est parti pour de bon.
Au fil du roman, l'auteur nous emmène si loin que c'en est grisant. Croyez-moi : ce pavé de près de 1000 pages ne comporte aucun remplissage à mon sens. Tout s'enchaine parfaitement, sans temps mort.
La première moitié peut paraître quelque peu décousue, mais c'est pour mieux de semer les graines de son histoire luxuriante.
La seconde se lit d'une traite, magistrale.
Si vraiment je devais apporter un bémol, ce serait concernant la toute fin du roman qui, sans être mauvaise, m'a paru un tantinet poussive.
Idées : 5/5
Avant d'entamer la lecture de ce livre, j'étais persuadé que le roman Temps de Stephen Baxter resterait pour longtemps le roman SF exploitant le plus d'idées originales et/ou fascinantes.
J'avais tort.
Car, après l'exploit d'avoir déjà rassemblé de nombreuses idées dans les deux premiers tomes, je m'attendais à un certain essoufflement dans ce troisième.
Il n'en est rien. Mais alors, vraiment rien.
Tout d'abord, l'auteur réussi à recycler avec brio des thèmes maintes fois explorées dans le monde de la SF et/ou dans les deux précédents tomes : propulsion par courbure de l'espace (warp drive), balles d'antimatière, multivers, matière noire, relativité générale. C'est riche. Très riche.
Mais ce n'est pas tout : l'auteur parvint à nous soumettre des idées foncièrement novatrices, tout du moins de ce que j'ai déjà pu lire en SF.
En particulier une idée, vers la fin, qui m'a donné le tournis. Difficile d'en dire plus sans spoiler, je peux juste révéler qu'il s'agit d'un système dimensionnel combiné à une arme implacable. Où diable est-il parti chercher cette idée vertigineuse ?
Personnages : 4/5
Dans le premier tome, et un peu moins dans le second, le travers principal de l'auteur était de réduire les personnages à de simples outils pour faire avancer l'intrigue.
Pour ce dernier tome, il semble avoir essayé de gommer ce défaut.
Le personnage principal est une physicienne, Cheng Xin. Une personne à la fois rationnelle et émotive qui nuance un peu le message de fond de l'histoire, plutôt - très - pessimiste.
Ses imperfections et sa capacité à prendre les mauvaises décisions la rendre attachantes mais parfois un peu agaçante.
Le destin de Cheng Xin est étroitement lié à celui de Yun Tianming, qui s'en est profondément épris. Condamné par un cancer, il décide de se sacrifier pour l'humanité, par amour pour Cheng Xin : son cerveau est envoyé dans l’espace en vue d'entrer en contact avec l'armée trisolarienne, avec tous les risques ce ce geste implique.
Thomas Wade est l'un des meilleurs personnages selon moi. C'est en soi l'antagoniste parfait : ses motivations sont tout à fait compréhensibles et, sans être louables, elles sont parfaitement rationnelles, d'autant plus qu'elles sont rattachées à une éthique personnelle implacable.
Enfin, j'ai pris plaisir à retrouver Luo Ji qui a gagné en charisme depuis la fin du second tome, et ne faiblit pas dans cette fin en apothéose.
Style : 4/5
Le style est dans la continuité du tome précédent, c'est-à-dire selon moi un peu meilleur que celui du premier tome.
Souvent froid et clinique, mais toujours rehaussé de figures de style pertinentes et de quelques descriptions très immersives.
Certaines métaphores paraissent cependant forcées, un travers déjà présent dans les deux autres tomes.
Un exemple p.302, le "X" désignant un adversaire surpuissant dont je ne spoilerai pas la nature ni le nom : "Terrorisée, la foule recula et fit bientôt le vide dans un cercle dont X était le centre, comme une goutte de liquide vaisselle au milieu de la couche d'huile d'un bol sale." Je ne sais pas pour vous, mais je trouve cette comparaison pour le moins bâclée et ridicule, surtout dans la gravité d'un tel moment. Sérieusement, en quoi la mort d’innocents impuissants peut évoquer le fait de faire la vaisselle ?
C'est d'autant plus notable que, sur la page suivante, on trouve cette magnifique métaphore aussi simple que poétique : "Sur ses genoux était posé un didgeridoo, un instrument traditionnel australien fabriqué dans une branche de bois percée [...]. Il ne jouait chaque soir, assis là. [...] Ce n'était pas de la musique, mais plutôt comme le ronflement de la Terre."
Il faut parfois être indulgent sur la foison de verbes ternes ("être", "avoir" et "faire") présents dans le texte lorsqu'il se fait journalistique, par exemple p. 630 (avec éléments spoilant supprimés) : "ils étaient conscient de ne jamais pouvoir en posséder un eux-même. [...] c'était en fin de compte la voie de secours la plus réaliste. Naturellement, il en était aussi qui s'intéressaient au projet Champ noir. Après tout, trois siècles passés dans la peur avaient fait naître chez les hommes [...]. Il était bien sûr regrettable de devoir se [...], mais le système solaire était suffisamment grand [...]."
Bien sûr, ces verbes ne sont pas à proscrire dans un récit, mais il est préférable de les utiliser avec parcimonie, sinon le style s'en ressent et devient terne, d'où leur nom.
De toute évidence, rien ne vaut une plume francophone pour porter les valeurs de notre langue et de la SF, comme sait si bien le faire Pierre Bordage.
La traduction du chinois implique une barrière linguistique et culturelle qu'on ne peut que rendre au mieux, et le travail de Gwennaël Gaffric reste excellent en soi.
En bref :
Certains romans vous marquent et vous ressortez ravi de leur lecture. Parmi eux, certains sont des coups de cœur que vous êtes sûr de relire. Et, parmi ces coups de cœur, il existe quelques livres qui vous transcendent.
C'est le cas de cette trilogie, qui redéfinit la science-fiction selon moi. Ni plus, ni moins.
Nous sommes ici face à un cycle de l’envergure de Fondation ou de Dune, sans l'ombre d'un doute, et sa lecture est indispensable pour tout amateur du genre.
NOTE GLOBALE : 5/5
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